On a marché sur la Lune
« J'aime à penser que la Lune
est là même si je ne la regarde pas ». Albert Einstein.
C'est tellement vrai.
Pour tout bipède astrophage, il n'y a rien de plus irritant que
d'avoir un phare annihilant toute observation potable dans un ciel
bien sombre. Oh non ! C'est pleine Lune... Séléné, fille de Titans
au visage d'une blancheur aveuglante, s'élève dans notre champ de
vision, au sortir de son bain dans les océans sans âge, elle
arpente le ciel avec ses chevaux étincelants. Toujours présente, de
jour comme de nuit, on n'y prête guère attention, elle fait partie
de notre vie. Jamais durant la journée on entendra quelqu'un
s'étonner : « tiens, il y a le soleil aujourd'hui ! ».
Il en va de même pour l'astre de la nuit. Nous aimons à penser
qu'elle est là, même sans la regarder...
Première visite de la
belle, pour ma part, avec Mister Dob. Pour ce dernier, je n'en suis
pas sûr, il a eu une autre vie avant moi avec un ancien
propriétaire, et j'ignore tout de ses soirées débridées.
C'est parti ! Il nous
faut un tout petit peu plus d'une seconde pour la rejoindre, à
califourchon sur un tapis de photons. Petit arrêt au sud de la
mer de la Sérénité pour récupérer le rover US abandonné de
la mission Apollo 17, il nous sera bien utile, avec ses vitesses de
pointe de 14 km/h. Il est en bon état et tout semble fonctionner,
Dob se cale à l'arrière, regardant les Monts Taurus.
La Mer des Crises...
quel nom étrange ! On la remarque aisément, même à l'oeil nu,
vaste rond sombre de 540 km de diamètre, proche de la Tranquillité
: la crise après le calme, tiens tiens ! Au XVIIème siècle on
nommait ces vastes étendues basaltiques en fonction du temps qu'il
faisait sur Terre ; ça donne Tranquillité, Sérénité, Fécondité,
mais aussi Pluies, Tempêtes, Froid... Bref, Mister Dob commençant à
se la taper, sa crise d'oculaires, prétextant une poussière
sélénite dans le viseur, je décide de m'éloigner.
Le rover glisse sur la
régolithe, épaisse couche de poussières déposée par l'impact des
nombreux météorites. Aucun bruit, tout est calme, les pneus
laissent de larges traces derrière nous, et l'Océan Pacifique, d'un
bleu intense, nous fait face.
Passage par l'incroyable
Messier A, même Dob reste bouche bée : une météorite a
percuté le sol avec un angle très incliné, a rebondi pour former
un autre cratère, et les ejecta ont été projetés sur des dizaines
de kilomètres ! Vue depuis la Terre c'est beau, imaginez depuis un
rover !
Après avoir traversé le
vaste Lacus Somniorum, le marais des Songes, nous rejoignons
le beau cratère Langrenus, de 133 km de largeur !
Impressionnant, mais la luminosité n'est pas très bonne, c'est un
peu trop aveuglant. Idem pour Petavius et Torricelli, à la
forme de poire, il faudra revenir !
Conciliabules avec Dob :
nous décidons de traverser une bonne partie de la Lune pour
rejoindre des cieux plus cléments, et le rover, poussif, nous fait
franchir des endroits incroyables. Franchissant les Apennins et la
Vallis Alpes, nous arrivons enfin, exténués mais jubilant, au
cratère Platon.
Quelle Idée géniale !
Pas de caverne ici, ce que n'aurait pas renié le maître philosophe,
mais un cratère fantastique, lumière magnifique ! Ouah... le sol
est très sombre, justifiant d'ailleurs son ancien nom de Grand Lac
Noir. Sur 100 km de large, il n'y a rien d'autre que la platitude
ennivrante et le regard vient buter sur les hautes falaises qui
encerclent ce beau domaine.
Le rover se dégourdit
les jambes et poursuit son transect lunaire : un des chocs de notre
voyage fut sans aucun doute le Golfe des Iris et son promontoire
Heraclide, au sud de la mer des Pluies. On s'imagine avec Mister
Dob sur un des plus beaux golfes de notre bonne vieille Terre, à
siroter un jus de papaye. Que c'est beau ! D'ailleurs nous sommes en
charmante compagnie puisque la célèbre tête de femme et sa longue
chevelure est parfaitement visible sur le promontoire. Une
observation idéale !
Il se fait tard, l'heure
tourne, l'Océan Pacifique a laissé sa place à l'Amérique, je
crois distinguer les méandres de l'Amazone. Nous décidons avant de
rentrer de faire la tournée des grands cratères, baignés dans une
lumière sépulcrale. Gassendi, et sa double montagne
intérieure, édifiée lors du choc avec la météorite, Copernicus,
vaste stade aux gradins étagés, Clavius, le plus beau, avec
ses multiples impacts intérieurs, et Schiller, double cratère
en forme de cacahuète. Autant de mondes en soi à découvrir.
Mais la star sera Tycho
et ses rayons d'ejecta le couronnant sur 1500 km aux alentours !
Immanquable ! Tycho va d'ailleurs nous permettre de faire le lien
avec notre bonne vieille planète et d'y revenir, car il est jeune,
peut-être une centaine de millions d'années. D'après les
scientifiques, l'objet qui l'a créé fait partie de la même famille
d'astéroides que celui ayant ravagé notre sol il y a 65 M d'années,
mettant à bas les fameux dinosaures, entre autres.
-c'est triste, me
sussurre Mister Dob, larme au Plöss.
- oui, mais c'est ce
qui a permis aux mammifères de régner à leur tour, et donc de se
promener aujourd'hui sur la Lune, non ?
- tu as raison,
c'est la vie ! Allez on rentre, j'ai le mal de Terre ! Ça va
prendre du temps ?
- tu n'as rien
écouté encore, 1 seconde à dos de photons, on sera vite à la
maison.
...
Tycho, je te vois, prends
soin de mon rover, maintenant que je sais qu'en un clin d'oeil je
pourrais revenir...
« la Lune, ce rêve
du Soleil » Paul Klee